Avec la mise en place du télétravail pour un grand nombre de salariés pendant le reconfinement, la question se pose : quels frais peut-on se faire rembourser par son employeur ? Décryptage de plusieurs avocats en droit du travail.
Internet, électricité, fournitures… vous êtes en télétravail dans le cadre du deuxième confinement et vous vous demandez si vous pouvez vous faire rembourser certains frais ? Lors du premier confinement, avec la publication de son guide du télétravail le 9 mai dernier, le ministère du Travail avait déjà semé le doute sur cette question. En effet, le ministère y indique que “l’employeur n’est pas tenu de verser à son salarié une indemnité de télétravail destinée à lui rembourser les frais découlant du télétravail, sauf si l’entreprise est dotée d’un accord ou d’une charte qui le prévoit”.
Une formulation ambiguë, qui peut laisser penser que l’employeur n’a aucune obligation en termes de remboursement des frais engagés par les salariés en télétravail. Sauf que “les recommandations du ministère du travail n’ont pas de réelle valeur juridique”, rappelle Margaux Berbey, juriste en droit social pour les Editions Tissot. Puisque les préconisations du ministère n’ont pas de portée législative, il faut aller regarder du côté de la loi. Mais alors, que disent les textes ?
Depuis l’entrée en vigueur d’une ordonnance du 22 septembre 2017, un article du code du travail (L.1222-10) prévoyant la prise en charge par l’employeur de tous les frais engagés par le salarié en télétravail a été supprimé. “Mais ce n’est pas pour autant que l’employeur est dispensé de toute obligation de remboursement, insiste Christine Martin, associée de Vivaldi Avocats. Si le télétravail est mis en place à la demande de l’employeur, il doit nécessairement prendre en charge certains frais engagés par le salarié.”
Pour les entreprises adhérentes au Medef, à la CGPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) et à l'U2P (Union des entreprises de proximité) par exemple, ce remboursement est toujours prévu dans le cadre de l’accord national interprofessionnel de 2005, qui a été repris dans la loi du 22 mars 2012 sur la simplification du droit des entreprises. Y est ainsi indiqué que “l'employeur est tenu à l'égard du salarié en télétravail de prendre en charge tous les coûts découlant directement de l'exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci”. Mais, de manière plus générale, tous les employeurs sont tenus de prendre à leur charge certains frais engendrés par les salariés en télétravail.
Sauf que dans le contexte actuel de crise sanitaire, l’employeur a bien un local à mettre à disposition de ses salariés, mais il est fortement incité par le gouvernement à avoir recours au télétravail durant le confinement. “Ce n’est donc pas vraiment du fait de l’employeur si ses salariés sont placés en télétravail. Il serait donc malvenu de juger que l’employeur est redevable d’une indemnité d’occupation”, analyse Sabrina Kemel, avocate au sein du cabinet FTMS. Et en cas d’accord ou de charte d’entreprise, il faut bien se renseigner et en analyser les termes car certains textes “excluent le versement d’une indemnité d’occupation en cas de pandémie”, ajoute l’avocate.
En revanche, pour toutes les dépenses réalisées par le salarié en télétravail relevant des frais professionnels, c’est sûr : elles doivent lui être remboursées. “Rien ne permet à l’employeur d’échapper à son obligation de prise en charge des frais professionnels engagés par les salariés en télétravail, pendant ou en dehors de la période de crise sanitaire”, expliquent Sabrina Kemel et Guillaume Turpin. En effet, au même titre que s’il avait engagé des dépenses professionnelles en travaillant dans les locaux de son entreprise, un salarié doit pouvoir se faire rembourser les frais engagés en télétravail.
Comment se faire rembourser ses frais professionnels
Un salarié en télétravail peut se faire rembourser les dépenses réalisées pour l’achat de fournitures, pour l’acquisition de mobilier, ou encore pour ses forfaits téléphonique et Internet. Cartouches d’encre, ramettes de papier… pour les fournitures, un simple ticket de caisse suffit pour justifier la dépense et obtenir un remboursement, même dans le contexte actuel. De même, si le salarié a dû acheter un ordinateur dans le seul but de pouvoir travailler de chez lui, son entreprise est tenue de lui rembourser cette dépense.
Pour les forfaits mobile et Internet, les choses se compliquent davantage en revanche. Avec les forfaits avec communication illimitée, un salarié paie dans tous les cas la même facture pour ses forfaits Internet et mobile, qu’il soit en télétravail à 100% ou non. Dans ce cas, il peut donc être compliqué de différencier les dépenses qui relèvent de l’utilisation personnelle de celles qui relèvent de l’utilisation professionnelle. Mais si le forfait du salarié ne prévoit pas d’appels illimités, ce sera plus simple et le remboursement sera réalisé au prorata du temps d’utilisation professionnelle.
Si leur employeur n’a pas encore communiqué sur le sujet, “les salariés peuvent directement s’adresser aux services RH ou comptabilité de leur entreprise pour faire une demande de remboursement”, signale Delphine Robinet, avocate en droit social, associée du cabinet Viajuris. Si vous fournissez les justificatifs de vos dépenses, “l’entreprise ne peut pas refuser le remboursement de ces frais”, ajoute Christine Martin. Si elle le refuse toujours, la solution (extrême) est d’aller jusqu’en justice. Et dans ce cas, si le juge penche en faveur du salarié, la finalité sera quasiment la même : “l’employeur devra rembourser ces frais au salarié et il peut risquer - mais c’est rare - d’avoir à lui payer des dommages et intérêts”, détaille Delphine Robinet.
À noter que ce mardi 3 novembre, les partenaires sociaux (syndicats et patronat) doivent justement entamer des négociations pour aboutir à un nouvel accord national sur le télétravail. Son but sera d'abord de clarifier les règles juridiques, “et notamment concernant le remboursement des frais”, nous signalait début octobre Jérôme Vivenza, membre de la commission exécutive confédérale de la CGT. Pour lever le flou sur ce sujet, les organisations syndicales veulent donc de nouveau expliciter les obligations de l’employeur en matière de remboursement des frais dans le prochain accord sur le télétravail. De même pour la fourniture de matériel par l’employeur.
En effet, le télétravail engendre certains coûts supplémentaires pour le salarié (achat de fournitures, chauffage, Internet, téléphone…). Et si le salarié peut les justifier, ces frais doivent être pris en charge par l’employeur, soit sous la forme d’un remboursement pour chaque dépense, soit sous la forme d’un versement mensuel d'une indemnité forfaitaire. Et ce, même pendant la crise sanitaire, et même en l’absence d’accord ou de charte d’entreprise le prévoyant.
Le cas particulier de l’indemnité d’occupation du domicile
Dans certains cas, cette allocation forfaitaire peut comprendre une indemnité d’occupation du domicile. En temps normal, “si le salarié est placé en télétravail à la demande de l’employeur et si aucun local professionnel n’est mis à sa disposition, il doit être indemnisé pour l’occupation de son domicile”, explique Guillaume Turpin, avocat au sein du cabinet FTMS. Et ce, même si aucun accord ou charte d’entreprise ne le prévoit. Le montant de cette indemnité n’est pas fixé par la loi, car il dépend de plusieurs facteurs, et notamment de la proportion du logement occupée par le salarié pour son “bureau à domicile”. Mais de manière générale, cette indemnité se compte en plusieurs dizaines d’euros par mois.